J’ai 7 ans.
Mes premières angoisses
Je suis en vacances au bord de la mer, et, alors que je me baigne dans la piscine municipale de la commune voisine, m’apparaît au creux des mains une étrange illusion : au milieu des mes deux paumes sortent de longs fils gris foncé transparents, auxquels sont attachés des bébés labradors beiges…
Je réalise que si je mets mes mains dans l’eau, les bébés chiens, entraînés par les fils, se noieront, à coup sûr. Alors, je m’applique à ne surtout pas mettre mes petites mains dans l’eau, de peur de leur faire « boire la tasse ». Mais les fils n’en font qu’à leur tête et ils me jouent des tours. Ils virevoltent dans les airs à toute vitesse à des rythmes différents, et j’ai bien du mal à contrôler mentalement leur trajectoire…
En réalité, je sais bien qu’il n’y a pas de petits chiens attachés au bout de mes mains, mais je n’arrive pas à les chasser de mon esprit. Ce nouveau jeu ne me fait pas vraiment rire, et quand j’en parle, on se moque de moi. Alors, je décide qu’à partir de maintenant, je le garderai pour moi.
J’ai 11 ans
Je comprends que je souffre de TOC
J’ajoute à mon écriture « pattes de mouche », de drôles de petits points entre chaque lettre. Ça fait des taches d’encre sur les mots et mes cahiers d’école deviennent illisibles. Ma maîtresse me fait la remarque. Le mal qui me ronge commence à prendre de la place, et j’ai de plus en plus de mal à le cacher.
Ce vide entre les lettres me met mal à l’aise, je crois même qu’il me fait peur. J’ai l’impression qu’il peut m’aspirer, qu’il peut même entraîner avec lui tous ceux que j’aime. Alors, je comble. Je fais des points pour relier les lettres. Je fais des points pour combler le vide. Je fais des points pour apaiser mon cœur. Et ces points deviennent des ponts qui me permettent de continuer à avancer malgré la peur.
Parfois, courageusement, j’essaye de ne pas les faire pour voir ce que cela donne… Là, un malaise monstrueux monte en moi, me tord le ventre et me noue la gorge. Je ressens le besoin de m’étirer, de me tortiller, j’ai envie d’être dans un autre corps, juste le temps que mon esprit, trop rapide pour mon cerveau d’enfant se calme, et que je puisse souffler un peu. Alors, c’est plus fort que moi, je cède à chaque fois, et je fais des petits points un peu partout.
Ma pédiatre conseille alors à ma mère de m’emmener voir une psychologue. Apparemment, ce que je fais n’est pas normal. Cela me paraissait étrange à moi aussi, ces histoires de petits points et de bébés chiens au bout des mains !
Je comprends que je souffre de TOC.
C’est mignon « toc », ça fait presque surnom… Cet acronyme sonne mieux que la réalité qu’il cache, mais ça me fait du bien d’en parler avec quelqu’un.
J’ai 15 ans
Mon angoisse est omniprésente
Des flashs d’accident de voiture me viennent inlassablement à l’esprit. J’ai beau essayer de les chasser, je n’ai aucun contrôle. Je vois ma mère en sang, comme dans les publicités pour la Sécurité routière. Pour éviter que ces images ne deviennent réelles, je dois agir. Je dois conjurer le mauvais sort à tout prix, avant que le drame ne se produise.
Mon amour pour elle est plus fort que tout et je la protégerai, quoi qu’il arrive ! J’en suis capable, je peux le faire ! Alors, je répète des gestes, des phrases, des mots, autant de fois qu’il le faut. Mentalement, physiquement, oralement. Tout y passe. Jusqu’à ce que mon esprit décide que ça ira pour cette fois.
Si je ne compte pas suffisamment, si je ne fais pas les gestes correctement, elle va mourir et ce sera de ma faute. Je serai responsable de sa mort. J’avais les cartes en main pour la sauver et, à cause de ma flemme et de mon incompétence, je l’aurais tuée. La peur et la culpabilité deviennent ingérables. Comment vivre avec ça ?
Quand ma mère ne répond pas au téléphone, j’imagine tout de suite le pire. L’angoisse s’empare instantanément de tout mon être, et je suis incapable de me raisonner. Seul le son de sa voix peut me permettre de me calmer, et je frôle régulièrement la crise de panique. Les TOCs sont gérables pour le moment, mais l’angoisse, elle, est déjà omniprésente.
J’ai 19 ans
Je ne contrôle plus rien.
Je viens de vivre mon premier amour, aussi magique, beau et intense qu’il a été dévastateur. Lorsqu’il me quitte, la douleur est trop forte. Je pense être incapable de vivre sans lui. Je ne contrôle plus rien, et l’idée de ne pas contrôler m’est insupportable. S’il lui arrive quelque chose, je suis convaincue que je ne m’en remettrai pas. Le moindre de ses déplacements devient un enfer pour moi. Toutes mes angoisses se réveillent. J’en perds mon bon sens. J’en perds la raison. Mes TOC se multiplient par dix. Par vingt. Par cent.
Et là, la vie devient compliquée : m’habiller, poser un objet sur une table, aller dans un musée, lire un livre, allumer mon portable, éteindre la lumière… Tout me pose problème, tout me prend du temps. Les rituels s’immiscent dans toutes les sphères de ma vie, et je suis épuisée. Je compte tout : des gorgées d’eau que je bois aux pas que je fais dans la rue, des carrés de papier toilette que j’utilise, aux battements de mon cœur…
Chaque chiffre a une signification bien précise, et tout est codé dans ma tête.
1.2.3.4.5 1.2.3 1.2.3.4.5
Ça devient une ritournelle qui tourne en boucle dans ma tête. Je répète tout, je dois me souvenir de tout. Des phrases dans les films, aux dates gravées sur le sol goudronné des rues parisiennes, des panneaux indicateurs dans les musées, aux prix des vêtements dans les magasins.
Marcher à tel endroit, relire telle phrase. Dix fois, vingt fois. Mille fois s’il le faut. Cela n’a aucun sens et je le sais bien, mais j’exécute quand même ces actions sans queue ni tête, parce que c’est la seule chose qui m’apaise. Momentanément, tout du moins, car les images angoissantes reviennent toujours de plus belle, plus fortes, et surtout, toujours plus fortes que moi. J’ai envie de me taper la tête contre les murs juste pour arrêter de penser.
Et puis, les fils sont toujours là. Ils ne sont plus dans la paume de mes mains comme quand j’étais petite, mais je les imagine maintenant partout autour de moi. Ils vont dans tous les sens, mais jamais au bon endroit.
Quand on me parle, bien souvent je réponds, mais dans ma tête, je suis ailleurs. J’agis. Moi qui suis joyeuse et pétillante de nature, je deviens négative. Je suis en boucle sur mes problèmes. Mon hypersensibilité conjuguée à mes TOC fait un drôle de mélange, et mon estime de moi, naturellement peu élevée, est proche du néant.
Je me répète tous les jours que « je suis nulle ». Et je le deviens.
Je fais, du coup, un plongeon dans des abîmes inconnus jusque-là : ceux de la dépression. Et les années suivantes, bien que parsemées de très nombreux moments de bonheur, vont être très difficiles à gérer émotionnellement. Mon cerveau va toujours trop vite, il fait mille choses à la fois.
En plus de voir ma psychologue toutes les semaines, en qui j’ai confiance et avec qui je peux vider mon sac, je vois un comportementaliste qui me donne des clefs importantes sur la compréhension de mon trouble et qui m’aide à passer à l’action. Son but est de m’aider à désapprendre ces comportements inadaptés en me confrontant à mon angoisse. Mais habituée à céder à mes TOCS, je finis par baisser les bras, car je ne sais plus faire que ça.
Dans mon malheur, je ne m’en sors pas si mal : je ne fais pas partie des cas les plus graves, mes TOCS se limitent majoritairement à des TOCS de vérification et de comptage, et j’arrive relativement bien à les dissimuler.
Je vois un psychiatre avec qui le contact ne passe pas, puis un deuxième, puis finalement un troisième. Il me prescrit des anxiolytiques et des antidépresseurs pour m’aider à gérer le quotidien. Zoloft, Seroplex, Prozac, Anafranil, Divarius, avec ou sans, je ne vois pas de réelle différence, mais tout y passe. J’ai l’impression de servir de rat de laboratoire…
Les médicaments me font prendre quinze kilos aussi, comme ça en plus de me trouver nulle, je me trouve énorme… Je dors douze heures par nuit, mais je suis tout de même fatiguée. Lutter contre mes TOCS ou céder à mes TOCS me demande une telle énergie, une telle concentration, que je n’en ai plus pour le reste, notamment pour mes études. Je ne gère rien d’administratif, je suis dépendante de mes parents financièrement, et j’ai parfois l’impression d’avoir encore 15 ans. Mais à côté de ça, j’espère sauver le monde. Mon monde. Tout en ayant parfaitement conscience de ne pas pouvoir le faire. La belle ambivalence…
Alors, souvent je pense à mourir. Juste pour stopper l’engrenage. Pour arrêter de penser. Pour enfin faire stopper les obsessions. Pour enfin stopper les compulsions. Pour faire taire ces angoisses qui me martèlent la tête, qui me gâchent la vie et qui limitent mon champ des possibles.
Même si j’en parle peu autour de moi et que je trie sur le volet les gens à qui je me confie, j’ai la chance d’être bien entourée. Il y a trop de choses, trop d’êtres qui me retiennent ici, et j’ai conscience qu’à part cette foutue maladie, j’ai énormément de chance dans la vie.
Et puis, je la sens, cette boule d’énergie illimitée au fond de moi, cette force inouïe. Je sais que cette Cécile-là n’est pas vraiment moi. Je sais que je vaux tellement mieux que ça, et que ce fardeau ne me représente pas. Je ne sais pas encore comment je vais m’y prendre, mais je garde espoir de me sortir un jour de tout ça, et ça m’empêche de baisser complètement les bras.
J’ai 26 ans.
Je tombe amoureuse.
Je retrouve un ancien copain de lycée à une soirée de promo. Steven. Notre connexion est d’une telle évidence qu’on a du mal à comprendre ce qui nous arrive. Un vrai raz-de-marée émotionnel. On tombe éperdument amoureux. Il devient mon meilleur ami, mon meilleur amant, mon évidence.
Avec lui, j’ai l’impression de redécouvrir ce qu’est l’amour, car je l’aime d’un amour sain. Je réalise que j’assimile amour et souffrance depuis longtemps, parce que moi, quand j’aime, inéluctablement, j’angoisse, et donc je souffre.
J’ai toujours plein de TOCS, mais étrangement aucun ne le concerne. Comme si, en étant simplement lui-même, il m’aide à transcender ma plus grosse fêlure. Et moi, en étant simplement moi-même, je lui donne confiance en lui, je l’aide à panser ses propres blessures et je brise le mur de glace qu’il a forgé autour de lui.
Les années passent, remplies de bonheur, de voyages et de découvertes ensemble. Il me pousse à être chaque jour la meilleure version de moi-même. Il m’aide à accepter mon parcours et à changer de regard sur ce que je considère comme des échecs. Il m’aime pour deux quand je suis incapable de m’aimer moi-même…
Mais mes vieux démons ne sont jamais loin. Les troubles obsessionnels compulsifs ont créé des schémas neuronaux bien ancrés dans mon cerveau, et rien ni personne n’arrive à m’en défaire. Ils sont maintenant gérables au quotidien, mais je tourne en rond dans mon évolution personnelle. Je suis coincée dans mes schémas de répétitions.
Parfois, je ne me rends même plus compte quand je fais mes TOCS. Ce sont mes proches qui me font la remarque. Les mouvements sont devenus des habitudes, des réflexes. C’est comme un papier calque posé sur ma vie. Je commence tristement à accepter que je vivrai probablement toujours avec eux dans mon ombre.
Steven devient mon coach, mon psy, même certains jours, et il s’épuise à le faire. Lui qui sait ce que je vaux mieux que personne désespère de me voir me détruire à petit feu.
2017
Nos vies basculent.
Après avoir entraîné Steven avec moi sur la voie du développement personnel qui me passionne depuis toujours, une succession d’événements nous ouvre les portes de la « spiritualité ». Un événement en particulier m’oblige à me questionner et va drastiquement changer ma vision du monde.
Alors que nous sommes allongés dans notre lit, prêts à nous endormir, Steven se sent flotter au-dessus de son corps, qu’il voit pourtant allongé. Il est à la fois dans son corps et à la fois à l’extérieur. Il est partout dans la pièce et nulle part à la fois. La peur prend le dessus. Instantanément, il se sent aspiré dans son corps et se redresse sur le lit en hurlant. Il me dit qu’il s’est vu mourir, et je ne l’ai jamais vu terrorisé comme ça.
Quand il me raconte son expérience, j’ai du mal à le croire. Je lui dis qu’il a dû rêver. Il est convaincu du contraire et passe des heures à essayer de comprendre ce qui s’est passé. Il devient avide d’informations, une vraie boulimie intellectuelle !
Grâce à ses recherches, il comprend qu’il n’est pas un cas isolé, que ce phénomène a un nom et qu’il a fait : une « sortie de corps » (ou décorporation). C’est un phénomène que nous faisons tous chaque nuit involontairement et sans nous en rappeler, et que certaines personnes peuvent même faire sur commande. Comme Nicolas Fraisse.
Je ne le réalise pas encore, mais ce jour a marqué à jamais un tournant dans nos chemins personnels et dans notre vie de couple.
Extatique à l’idée de pouvoir me partager ses nombreuses découvertes ésotériques, il me raconte tout sans aucun filtre. Mais son timing n’est pas le mien, et je réagis extrêmement mal à tout ce qu’il me raconte, car cela vient complètement bouleverser mes croyances.
Passée la torpeur, je prends le temps de me renseigner, de lire des livres à mon tour et de me faire ma propre opinion, plutôt que de continuer à tout rejeter en bloc.
La boîte de Pandore est ouverte. On ne pourra plus jamais la refermer.
Je n’ai jamais été quelqu’un d’influençable et je reste méfiante, mais nous vivons les trois années suivantes des expériences qui viennent appuyer toutes ces recherches, et qui vont clairement changer ma façon de voir la vie.
Mais c’est surtout ma vision de moi-même qui va changer le plus. Je prends conscience de mes capacités, des capacités que nous avons tous. Je réalise que l’être humain est capable de bien plus que ce que l’on imagine, et les expériences que je vis (et que je te raconterai sans doute dans ce blog) m’aident à mieux me connaître, à développer mon esprit critique, et surtout, viennent guérir peu à peu mes traumatismes et les grandes blessures de mon cœur.
2020
Je n’ai plus de TOCS.
Ça me fait monter des larmes dans les yeux rien que d’y repenser, parce que je réalise le chemin parcouru et je me dis que je reviens de loin !
Je ne vais pas te mentir en te disant que tout est parfait, ce serait faux et je ne suis pas là pour te parler de la vie de quelqu’un d’autre. Je reste une personne très anxieuse. Mes axes d’amélioration sont donc encore nombreux. Mais j’arrive à voir ma vie et mon passé sous un spectre radicalement différent.
Je suis fière d’être ce que je suis et fière de ce que j’étais. Troubles compris.
Je regarde mon parcours et je n’ai pas envie de le changer. Tu n’imagines pas la valeur de ces mots, pour moi qui ai passé tant de temps à me critiquer, à me plaindre et à me dévaluer ! Je n’ai pas honte de crier la vérité qui a été la mienne pendant toutes ces années.
Traverser ces épreuves m’a permis de me réveiller, de mieux comprendre mes mécanismes et de me prendre en main pour guérir mes blessures. Personne d’autre n’aurait pu le faire à ma place.
Je crois qu’une de nos plus grandes forces est notre pouvoir d’autoguérison, et je pense que transcender ses plus gros traumatismes est une des plus belles choses de la vie !
Je sais que mon esprit reste encore très façonné par les TOC. J’en garde d’ailleurs des séquelles, notamment de gros problèmes de concentration, de mauvaises habitudes, et un manque d’estime de moi sur lesquels je travaille. Toutefois, je sais que je suis capable de tout, que ce n’est donc pas irrémédiable, et que je vais dans la bonne direction.
Après avoir lutté une grande partie de ma vie, j’ai décidé d’arrêter de le faire. J’accueille maintenant ce que je suis, dans ma « parfaite imperfection ». Je transforme ce qui ne me convient pas et je fais confiance à la vie.
Je crois qu’en écrivant cet article, je me libère vraiment d’un poids. Il représente un acte d’acceptation de moi extrêmement symbolique. Alors, je te remercie sincèrement de m’avoir lu jusque-là. Si tu penses qu’il peut aider ou toucher quelqu’un, n’hésite pas à en parler autour de toi.
Si j’ai été capable de dépasser tout ça, je suis intimement convaincue que quoique tu traverses, tu le peux également : la solution est en toi !